Tiwi islands : Naissance et renaissance

C’est une île au large de Darwin. Il n’y a rien de plus beau qu’une île. On lui a donné le nom d’une fille mais elle aurait pu se décliner au masculin. Il n’y a rien de plus beau qu’un îlot. L’île, c’est une naissance : celle de tous les possibles. J’ai toujours eu une île en moi. On s’y réfugie. On y noie ses joies, ses chagrins mais, toujours, elle met la tête hors de l’eau. Même secouée par les flots les plus impétueux, bercée de tempêtes et de solitudes, l’île est digne… Au milieu de nulle-part, l’île est belle et s’arrondit pour sublimer la nature qui est en elle… L’île c’est « l’alpha », le « do » de la partition, le début d’une histoire sans fin. Un paradoxe infini : L’île, c’est elle…

Celles dont je vais vous parler s’appellent Tiwi islands.  A une centaine de nautique au Nord de l’Australie, elles ouvrent  l’horizon vers la mer du Timor. Cette mer que nous traverserons demain dans nos petits « monomoteurs »… Car en revenant des Tiwis, la bonne nouvelle est tombée du ciel. C’est officiel, Jakarta et l’Indonésie nous tendent les bras. Merci monsieur l’Ambassadeur… Avant de partir, donc, j’ai « jeté l’encre » aux Tiwis. Point d’ancre mais des ailes, vous l’aurez compris, c’est de là que je vous écris.  Tiwis aussi belles que fragiles. Avant d’y atterrir, nous survolons de petits ilôts qui se laissent inexorablement submerger par la montée des eaux des océans. C’’est ni plus ni moins un effet concret du réchauffement global. Plus loin au large de l’Australie, l’archipel de Kiribati a déjà perdu trois îles englouties par les flots… Mais revenons aux  Tiwis, réserves naturelles du peuple aborigène où l’accès est strictement réglementé. Si les côtes redoutent la montée des eaux, si les mangroves à l’écosystème si délicat craignent le réchauffement des eaux, les autochtones, eux, multiplient les actions pour préserver leur écrin. Et si la culture sur brûlis (très décriée car elle éradique de nombreuses forêts tropicales)  noircit quelques parcelles… les aborigènes vous expliqueront que cette technique agricole primitive  revivifie les terres en déclin. Car leur terre, ils y tiennent comme à la prunelle des deux yeux. Tiwi Islands, ce sont deux îles. Melville, la plus grande et Balthust, la plus petite. C’est là que nous avons rencontré quelques-uns de ces deux-mille habitants.   Des aborigènes qui préservent jalousement les rites que leurs ont enseignés les ancêtres. Maquillage facial, sculpture de « Pukumani », des bâtons funéraires pour honorer l’esprit des morts, et culte du Christ. Balthust et ses églises catholiques héritées de l’occupation hollandaise s’affiche chrétienne. Dans cet écrin, une nature d’une richesse inouïe… Des lacs intérieurs d’eau douce où les enfants s’amusent à pêcher de petites crevettes, le bush et ses arbres racés et centenaires, ses plages immenses longeant des côtes désolées d’abandon… Excepté ces détritus qui jonchent les sols ça et là, Balthust est romantique à souhait. Mais le restera-t-elle ? Rien n’est moins sûr… Alors comme pour conjurer le mauvais sort, les artistes aborigènes couchent sur tissus ou sur toiles les symboles de cette culture séculaire et qu’ils désirent éternelle. Quelques couleurs chaudes en symbiose avec l’atmosphère suffocante des lieux. Nous, nous laissons Balthust derrière nous. Cette île de tous les possibles où nous rencontrons un pilote de Cessna qui nous parle de … Verviers ! William ne s’exprime qu’en anglais, possède deux passeports (un australien et un belge) et évoque avec nostalgie la présence d’une de ses tantes dans notre plat pays. Cette île où se croisent sentiers et pistes d’atterrisages et où pour la première-fois de ma vie j’aperçois un panneau de circulation demandant aux usagers de laisser la priorité aux … avions !   C’est ce que nous ferons demain dès l’aube, après une nuit comme toutes les autres, beaucoup trop courte… L’une des étapes les plus difficiles de l’expédition. La traversée périlleuse de la mer de Timor. J’y reviendrai.
Pour l’heure, l’énergie qui nous porte, malgré les douleurs musculaires, les problèmes digestifs et le manque évident de sommeil, c’est dans une île que je la puise… Au large de Darwin ou ailleurs, l’île c’est « elle », l’île c’est « il », le plus beau des jardins secrets.