Les souffres douleur du Kawah Ijen

Ce sont des forçats du soufre. C’est un volcan grandiose. Des hommes minces et trapus au courage inouï.  Un cratère gigantesque qui culmine à 2400 mètres. Sur leur visage l’usure du temps passé sur les pentes abruptes du Kawah. En son sein un lac d’une superbe couleur turquoise.  Dans le blanc de  leurs yeux, la couleur soufre d’une souffrance inégalée. Sa beauté n’a d’égal que sa dangerosité. Ce lac est le plus acide de la planète… Leur détermination n’a d’égale que la force du désespoir. L’un des pires métiers qu’abrite notre terre.

Il est quatre heures du matin. Banyuwangi. Le chant du mouezzine résonne dans la nuit javanaise. Nous nous apprêtons à conquérir les profondeurs du volcan. Stul, Jean-Claude et Moi, orphelins de nos frères du ciel, prenons place dans le 4x4 qui doit nous amener au pied du « cratère vert » ; c’est ce que veut dire « Kawah ijen » en javanais. Il est cinq heures lorsque nous entamons l’ascension du volcan. D’abruptes contreforts, des pentes glissantes qui doivent nous mener au sommet. Voir le Kawah d’en haut cela se mérite… Dans notre sillage , des porteurs armés de paniers tressés grimpent pas à pas la colline. Certains sont pieds nus… Dans ces sentiers de montagnes qui raidissent les muscles et coupent le souffle, nous débutons une aventure que jamais nous n’oublierons…
 
Une heure trente de marche forcée pour apercevoir d’en haut, les courbes majestueuses de cette montagne impitoyable. Pour voir au loin les reflets turquoises de ce lac d’un kilomètres de long sur 600 mètres de large. Des entrailles du volcan, jaillissent d’épaisses colonnes de fumée. L’odeur de souffre nous envahit … Comme les forçats du Kawah, nous décidons de descendre au fond du cratère. « Michel ! not too close » crie Yudi notre guide. Peine perdue. Nous irons au plus près du soufre, au plus près de la souffrance des souffres douleurs du Kawah Ijen. La pente est raide. Dangereuse. D’énormes bloc de pierre juxtaposés dans un semblant de sens insensé nous servent d’escalier. Au fur et à mesure que nous descendons au cœur de la soufrière, l’odeur devient plus âcre, plus pénétrante… Les yeux s’irritent… Mais nous voulons ressentir ce que ressentent ces hommes qui jouent chaque jour avec le feu pour gagner quelques roupies. Trente cinq minutes plus tard nous sommes au cœur de l’enfer jaune. Là où les vapeurs de soufre prennent naissance. Là où à l’aide de barre à mine, d’autres forçats « d’en bas » extraient le minerai de soufre. Là où nos forçats d’infortune remplissent leur panier  pour effectuer le voyage inverse … Quelle est donc cette vie ? Qu’ont-ils fait pour mériter un tel sort ? Les forçats souffrent le martyre mais ne le montrent pas. Ils leurs faut maintenant regagner le haut du cratère puis la base du volcan avec 70 à 100 kilos de minerais sur les épaules. Ahurissante besogne. Gagne-pain dérisoire : pour cent kilos de soufre acheminé, le porteur gagnera l’équivalent de …six dollars. Et plus les trajets vers l’enfer se multiplient, plus la durée de vie du forçat s’amenuise… On se croirait au temps des pharaons. A mi-chemin dans la descente, le porteur affronte l’ignoble réalité de la balance… Autant de kilos, autant de roupies… Les yeux inquiets, les bras chancellent, mais quelque soit le poids, guère de choix le forçat doit continuer le chemin de croix vers le bas… Là où les blocs de soufre seront retraités et conditionnés. Le soufre, mes chers amis, vous l’utilisez. Les  allumettes, les engrais, les insecticides, la poudre à canon, le raffinage du sucre ou même les laxatifs, cosmétiques ou exfoliants. Un peu de la sueur des forçats du Kawah se trouvent dans ces produits.   Le volcan est le principal centre d’exploitation de soufre de cette gigantesque Indonésie. Ce volcan qui lorsque nous le quittons se couvre d’un épais nuage de fumée. Le vent a tourné mais les forçats y retourneront , au forceps, pour assurer leur paie… J’ose à peine vous avouer que nous sommes rentrés harassés d’une telle ascension…
 
Harassés, nos autres compères le sont aussi. Ereintés par cinq heures de palabres administratives pour quitter Surabaya pour Jakarta. Pas moins de dix hommes sont présents. Sécurité de l’aéroport, immigration, douanes, … tous cherchent la faille qu’ils ne trouveront pas. Les ULM sont en règle , les plans de vols et autorisations aussi, ce beau monde semble déçu de cette piètre pêche à l’illégalité. Olivier Alexandre, Jean et Pierrot s’envole nerveusement touché par cet étrange acharnement. Les forçats du ciel ne sont pas au bout de leurs peines. Après 380 nautiques d’un vol difficile où (comme nous l’avait savamment prédit notre météorologue Luc Trullemans) Tower cumulus et cumulonimbus sont au rendez-vous, les quatre oiseaux motorisés aspirent à atterir à l’aéroport de Budiarto. Et pourtant, nouveau coup de théâtre inexpliqué, les services d’approches refusent l’atterrissage et dévient les ULM vers un autre aéroport… Et pour boire la coupe jusqu’à la lie, la tour fait monter les avions à 5 milles pieds et les fait patienter (holder dans la jargon) durant quinze interminables minutes dans une zone où la visibilité est exécrable.  Nos avions qui volent à vue devront vole « IFR », aux instruments ! La longue expérience des pilotes permettra d’éviter le casse-pipe où les contrôleurs du ciel les ont inconsciemment propulsés… A l’atterrissage nouvelle épreuve de force. Nouveau comité d’accueil. Et une nouvelle-fois trois heures de discussions pour rien. Voler en ULM en Indonésie n’est pas de tout repos, même si vous possédez toutes les autorisations nécessaires…
 
Ce sont des forçats du ciel. C’est un pays grandiose. Des hommes passionnés de lointains horizons. Un décor inouï pour planer dans l’infiniment grand. Sur leurs visages la fatigue du temps passés au cockpit… Le Kawa Ijen et des volcans par dizaines à tutoyer des ailes. Et la détermination jamais mise en doute d’aller au bout des rêves de ces pilotes sans frontières.