Massacre à la tronçonneuse à l’ombre de l’équateur

Cette-fois ça y est… après avoir survolé tant d’îles de la magnifique Indonésie nous nous apprêtons à quitter ce gigantesque pays aux 400 volcans et aux mille sourires. Car si les autorités locales nous ont souvent donné du fil à retordre, l’accueil des gens de la rue fut lui inégalé. Ce matin nous quittons donc la tristounette ville de Jambi où, comme les murs des constructions, tout semble se décrépir. Une ville bruyante à l’excès, poussiéreuse. L’air y est pollué des effusions de carburants brûlés dans d’innombrables pick-up et motos qui pétaradent à l’envi jusqu’aux petites heures de la nuit. Ces motos qui véhiculent jusqu’à quatre passagers. D’étranges brochettes de sardines motorisées où les enfants, les bébés, sont les seuls à ne pas porter de casque. Dire que nous sommes déçus de quitter Jambi serait mentir. Mais nous sommes heureux en revanche des 3 heures 45 minutes de vol qui nous attendent. Le survol de l’Est de l’île de Sumatra vers Pekanbaru. L’aéroport où nous devrons dédouaner.  

Vu du ciel la dure réalité est saisissante. Terres brûlées, arbres abattus par millions, Sumatra expose ses plaies…béantes.  Les statistiques du directeur du WWF-Indonésie  Klaas Van Teule (rencontré quelques heures plus tôt à Jakarta) ne sont plus des chiffres abstraits. D’en haut tout est limpide. Affreusement limpide. Des hectares de forêts sont calcinés propulsant dans l’atmosphère de gros nuages de fumée et gonflant chaque minute le taux de pollution du pays : Après les Etats-Unis et la Chine, l’Indonésie est le troisième producteur de CO2 de la planète. Nos ULM progressent à travers cette scierie géante à ciel ouvert… Les arbres tombés au combat jonchent le sol. Ca et là des camions-corbillards  transportent ces gigantesques troncs qui vont aller nourrir les menuiseries des environs et garnir vos salons et jardins.  Les forêts tropicales de Sumatra se meurent et cela fait plus de vingt ans que ça dure. Depuis 1985, 48 pc de ces forêts ont été rasées, les sols s’appauvrissent,  et rien ne semble pouvoir arrêter cette frénésie. Pour cause : En lieu et place on plante ici des milliers, des millions de palmiers. Il y en a partout, de toute taille. Le trésor local, c’est l’huile de palme extraite par pression à chaud de la pulpe des fruits du palmier. Cent  kilos de fruits donnent  22 kilos d’huile. Les faibles coûts de production attirent les industriels du monde entier. L’huile de palme , vous la trouvez partout. Dans vos céréales, vos crèmes glacées, vos biscuits, dans les produits cosmétiques et les biocarburants. Ce qu’on ne vous dit pas , c’est qu’elle augmente le taux de cholestérol du consommateur et qu’elle engendre de nombreuses affections cardio-vasculaires. Après la Malaisie qui détient 47 pc du marché mondial, L’Indonésie en est le second producteur (36 pc de la production mondiale). Alors comme l’huile de palme rapporte beaucoup d’argent tant aux producteurs qu’aux industriels occidentaux, « on » ferme les yeux sur les dégâts collatéraux… Des dommages irréversibles qui bouleversent l’écosystème des régions productrices. Un simple exemple. Si rien ne change, les scientifiques prévoient l’extinction des célèbres orangs- outans de Sumatra en 2022… Demain donc... Combien de temps encore le vacarme des tronçonneuses passera -t-il sous silence ce drame environnemental ?
 
Ce survol est un témoignage. Un de plus. C’est aussi pour nous un moment fort du « Earth Challenge ». Partis d’Australie il y a cinq semaines, c’est au dessus de l’île de Sumatra que nous allons franchir l’équateur. Quitter l’hémisphère Sud pour rejoindre le Nord. Un instant qui en ULM procure toujours une émotion intense que je partage dans le cockpit avec Alexandre. Le voyage au long cours dont nous avions tant rêvé progresse contre vents et marées…
L’aéroport de Pekanbaru est en vue. Aligné côte à côte sur le tarmac nos ULM attendent une nouvelle traversée maritime. Avant cela il nous faut trouver du carburant en ville. Un pick-up local fera l’affaire. Il nous faut une dernière-fois être rançonné par la douane indonésienne qui nous réclament des taxes d’atterrissage digne de Boeing 747… Il nous faut réparer une fuite dans le système de distribution d’essence d’un des appareils. Un des tuyaux arrachés par l’usure doit être remplacé. Olivier, Jean et Jean-Claude trouveront la parade temporairement. « Système D » quand tu nous tiens. Mais il faut que la réparation de fortune tienne… Dans quelques minutes nous ferons route vers la Malaisie. Un vol au dessus des eaux brunâtres et verdâtres de la mer de Chine pour rejoindre la ville de Johor-Baruh.  Une traversée pimentée pour Stul. La jauge d’essence de son ULM indique « zéro »… deux-milles pieds au dessus de l’eau… le sang froid fera le reste… une panne, une de plus. Mais une arrivée à bon port et un atterrissage inoubliable sur la piste de ce gigantesque aéroport. Piste éclairée de mille feux comme pour nous souhaiter la bienvenue. Le sourire du fonctionnaire des douanes confirmera notre impression. Ici pas de palabres. Nos ULM sont garés au pied de deux gigantesques 747. Les formalités sont rondement menées. Les taxes modérées… et le soleil couchant chatoyant. Des poches sous les yeux mais du cœur à revendre, il nous reste à rouler une bonne heure vers les petites rues de Singapour. Nous y avons rendez-vous avec les représentants du WWF. La nuit tombe. Les paupières trop lourdes tombent d’ennui. Les pensées s’évadent… Puissent nos rêves de lointains horizons chasser le cauchemar d’un massacre à la tronçonneuse à l’ombre de l’équateur.